L'être comme bonté - le Moi - le pluralisme - La Paix

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EMMANUEL LEVINAS
Totalité et Infini
Essai sur l'extériorité

CONCLUSIONS
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L'être comme bonté – le Moi – le pluralisme – La Paix[modifica]

Nous avons posé la métaphysique comme Désir. Nous avons décrit le Désir comme la « mesure » de l'Infini qu'aucun terme, aucune satisfaction n'arrête (Désir opposé au Besoin). La discontinuité des générations c'est-à-dire la mort et la fécondité fait sortir le Désir de la prison de sa propre subjectivité et arrête la monotonie de son identité. Poser la métaphysique comme Désir, c'est interpréter la production de l'être désir engendrant le Désir comme bonté et comme au-delà du bonheur; c'est interpréter la production de l'être, comme être pour autrui.

Mais « être pour autrui », n'est pas la négation du Moi, s'abîmant dans l'universel. La loi universelle se réfère elle-même à une position de face à face laquelle se refuse à toute « prise de vue » extérieure. Dire que l'universalité se réfère à la position de face à face, c'est contester (contre toute une tradition de la philosophie) que l'être se produit comme un panorama, comme mie coexistence dont le face à face serait une modalité. Tout cet ouvrage s' oppose à cette conception. Le face à face n'est pas une modalité de la coexistence, ni même de la connaissance (elle-même panoramique) qu'un terme peut avoir de l'autre, mais la production originelle de l'être vers laquelle remontent toutes les collocatiQUs possibles des termes. La révélation du tiers, inéluctable dans le visage, ne se produit qu'à travers le visage. La bonté ne rayonne pas sur l'anonymat d'une collectivité s'offrant panoramiquement pour s'y absorber. Elle concerne un être qui se révèle dans un visage, mais ainsi, elle n'a pas l'éternité sans commencement. Elle a un principe, une origine, sort d'un moi; est subjective. Elle ne se règle pas sur les principes inscrits dans la nature d'un être particulier qui la manifeste (car ainsi encore elle procéderait de l'universalité et ne répondrait pas au visage), ni dans les codes de l'Etat. Elle consiste à aller là où aucune pensée éclairante c'est-à-dire panoramique ne précède, à aller sans savoir où. Aventure absolue, dans une imprudence primordiale, la bonté est la transcendance même. La transcendance est transcendance d'un moi. Seul un moi peut répondre à l'injonction d'un visage.

Le moi se conserve donc dans la bonté sans que sa résistance au système se manifeste comme le cri égoïste de la subjectivité, encore soucieuse de bonheur ou de salut, de Kierkegaard. Poser l'être comme Désir, c'est à la fois, repousser l'ontologie de la subjectivité isolée et l'ontologie de la raison impersonnelle se réalisant dans l'histoire.

Poser l'être comme Désir et comme bonté, ce n'est pas isoler au préalable un moi qui tendrait ensuite vers un au-delà. C'est affirmer que se saisir de l'intérieur - se produire comme moi c'est se saisir par le même geste qui se tourne déj à vers l'extérieur pour extra-verser et manifester pour répondre de ce qu'il, saisit pour exprimer; que la prise de conscience est déjà langage; que l'essence du langage est bonté, ou encore, que l'essence du langage est amitié et hospitalité. L'Autre n'est pas la négation du Même comme le voudrait Hegel. Le fait fondamental de la scission ontologique en Même et en Autre, est un rapport non allergique du Même avec l'Autre.

La transcendance ou la bonté se produit comme pluralisme. Le pluralisme de l'être ne se produit pas comme une multiplicité d'une constellation étalée devant un regard possible, car ainsi déjà, elle se totaliserait, se ressouderait en entité. Le pluralisme s'accomplit dans la bonté allant de moi à l'autre où l'autre, comme absolument autre, peut seulement se produire sans qu'une prétendue vue latérale sur ce mouvement ait un quelconque droit d'en saisir une vérité supérieure à celle qui se produit dans la bonté même . On n'entre pas dans cette société pluraliste sans touj ours, par la parole (dans laquelle la bonté se produit) rester en dehors; mais on n'en sort pas pour se voir seulement dedans. L'unité de la pluralité c'est la paix et non pas la cohérence d'éléments constituant la pluralité. La paix ne peut donc pas s'identifier avec la fin des combats qui cessent faute de combattants, par la défaite des uns et la victoire des autres, c'est-à-dire avec les cimetières ou les empires universels futurs. La paix doit être ma paix, dans une relation qui part d'un moi et va vers l'Autre, dans le désir et la bonté où le moi, à la fois se maintient et existe sans égoïsme. Elle se conçoit à partir d'un moi assuré de la convergence entre la moralité et la réalité, c'est-à-dire d'un temps infini qui, à travers la fécondité, est son temps. Devant le jugement où s'énonce la vérité, il restera moi personnel et ce jugement viendra d'en dehors de lui, sans venir d'une raison impersonnelle qui ruse avec les personnes et se prononce en leur absence.

La situation où le moi se pose ainsi devant la vérité en plaçant sa moralité subjective dans le temps infini de sa fécondité situation où se trouvent réunis l'instant de l'érotisme et l'infini de la paternité se concrétise dans la merveille de la famille. Elle ne résulte pas seulement d'un aménagement raisonnable de l'animalité, elle ne marque pas simplement une étape vers l'universalité anonyme de l'Etat. Elle s'identifie en dehors de l'Etat, même si l' Etat lui réserve un cadre. Source du temps humain, elle permet à la subjectivité de se placer sous un jugement tout en conservant la parole. Structure métaphysiquement inéluctable que l'Etat ne saurait mettre en congé avec Platon n i faire exister, comme Hegel, en vue de sa propre disparition. La structure biologique de la fécondité ne se borne pas au fait biologique. Dans le fait biologique de la fécondité, se dessinent les linéaments de la fécondité en général, comme relation d'homme à homme et du Moi avec soi, ne ressemblant pas aux structures constitutives de l'Etat, linéaments d'une réalité qui ne se subordonne pas à l'Etat comme un moyen, qui n'en représente pas davantage un modèle réduit.

Aux antipodes du sujet vivant dans le temps infini de la fécondité, se situe l'être isolé et héroïque que produit l'Etat par ses viriles vertus. Il aborde la mort par pur courage et quelle que soit la cause pour laquelle il meurt. Il assume le temps fini, la mort-fin ou la mort-transition qui n' arrête pas la continuation d'un être sans discontinuité. L'existence héroïque, l'âme isolée peut faire son salut en cherchant pour elle-même une vie éternelle comme si sa subjectivité pouvait ne pas se retourner contre elle en retournant à soi dans un temps continu, comme si, dans ce temps continu, l'identité elle-même ne s'affirmait pas comme une obsession, comme si dans l'identité qui demeure al]. sein des plus extravagants avatars, ne triomphait pas « l'ennui, fruit de la morne incuriosité qui prend les proportions de l'immortalité ».